Est-il encore possible d’avoir des employés engagés?

Ce texte a été initialement publié dans La référence sous la citation EYB2023BRH2637. Le texte ne pourra être publié ou diffusé sur un site Internet tiers.

Il a été adapté pour refléter la situation des OSBL et des administrations publiques.

Résumé

Dans un monde professionnel post-pandémique, la recherche de l'engagement des employés demeure au coeur des préoccupations des gestionnaires et des directeurs de ressources humaines. La quête de cet engagement représente un enjeu stratégique majeur, autant pour la productivité que pour le bien-être des employés. Néanmoins, certains phénomènes comme le « quiet quitting » (démission silencieuse) nous rappellent que cet engagement est fragile et doit être cultivé avec soin.

 

INTRODUCTION

Grande démission, difficultés à recruter, employés prompts à changer de travail, désinvestissement : les mêmes constats semblent se répéter d’une organisation à une autre. Selon GALLUP[1], 59 % des travailleurs à travers le monde ne sont pas engagés, c’est-à-dire que ces employés mettent uniquement l’effort minimum requis et sont psychologiquement déconnectés de leur employeur. On fait référence ici au phénomène du « quiet quitting ».

Au Canada, les chiffres sont encore plus préoccupants : 66 % des employés sont non engagés contre 21 % qui se considèrent comme engagés et 13 % qui sont activement désengagés[2]. Quand ils sont engagés, les employés canadiens trouvent que leur travail a du sens, se sentent fiers de leur travail et sont prêts à donner leur 110 %.

 Dans un contexte de fatigue post-pandémique, où le monde du travail a été profondément bouleversé, on peut toutefois se demander s’il est toujours possible d’activer les leviers traditionnels de l’engagement tant les gestionnaires sont surchargés.

 I– LES LEVIERS TRADITIONNELS DE L’ENGAGEMENT

Selon GALLUP, l’engagement des employés se définit comme l’implication et l’enthousiasme des employés dans leur travail et sur leur lieu de travail[3], et envers les objectifs de son entreprise. L'engagement est donc bien plus qu'un simple sentiment de satisfaction. C'est un état d'esprit qui pousse un employé à s'investir pleinement, à aligner ses objectifs personnels avec ceux de l'entreprise et à se dépasser au quotidien.

 Habituellement, à quoi peut-on reconnaître ces employés engagés ? Voici quelques indices :

  • Ils sont curieux et apportent spontanément de nouvelles idées ;

  • Ils prennent des initiatives en lien avec la vision stratégique ;

  • Ils collaborent avec leurs collègues et les autres équipes ;

  • Ils démontrent une volonté de contribuer à l’atteinte des objectifs de leur organisation.

 En résumé, un employé engagé se reconnaît à sa volonté de contribuer activement au succès de l'entreprise et à son désir d'y évoluer sur le long terme.

Est-ce à dire que les employés qui quittent au bout de deux ou trois ans ne sont pas engagés ? Pas nécessairement puisque certaines personnes ont besoin de renouveler régulièrement les types de défis qu’elles rencontrent. À l’inverse, un employé qui est présent dans l’organisation depuis de nombreuses années n’est pas non plus synonyme d’engagement.

Pourtant, avec toute la recherche et les ressources relatives à l’engagement, on pourrait se dire que les gestionnaires ont tout ce qu’il leur faut pour être capable d’avoir des employés engagés. En effet, lorsque l’on regarde de plus près les raisons qui poussent les employés à se désengager[4], il n’y a aucune surprise : parmi les personnes qui envisagent de quitter leur poste (moyenne mondiale) :

  • 41 % le feraient en raison de leur culture ;

  • 28 % pour la paie et les bénéfices ;

  • 16 % pour des questions de bien-être et de santé.

 

Raisons invoquées par les personnes envisageant de quitter leur poste
 

Notons toutefois qu’il est difficile de se faire une idée fixe et précise sur ces leviers, tant les études et coups de sonde peuvent apparaître contradictoires[5].

 Les éléments qui favorisent l’engagement des équipes sont également bien documentés :

  1. Reconnaissance au travail : lorsque les efforts passent inaperçus ou ne sont pas valorisés, les employés peuvent se demander pourquoi continuer à s’investir ;

  2. Accessibilité de son gestionnaire ;

  3. Autonomie et flexibilité ;

  4. Respect ;

  5. Objectifs clairs ;

  6. Travail intéressant en lien avec ses valeurs personnelles ;

  7. Charge de travail réaliste et conciliation travail-famille ;

  8. Salaire suffisant.

GALLUP a d’ailleurs développé un questionnaire qui permet d’évaluer les 11 éléments qui ont le plus d’impact sur l’engagement[6].

 Malgré toutes ces connaissances, qu’est-ce qui fait que seulement 21 % des Canadiens se disent engagés ?

 II– MISER SUR L’EXPÉRIENCE GESTIONNAIRE

Principal constat : les gestionnaires (et les responsables des ressources humaines) se retrouvent à devoir gérer cette situation dans un contexte où leur propre engagement peut être mis à mal pour plusieurs raisons :

  • Surcharge de travail (il n’est pas rare de croiser des gestionnaires de tous niveaux qui travaillent 50-60 heures par semaine sur une base régulière) ;

  • Découragement survenant lorsqu’un employé enfin formé quitte et qu’il faut une nouvelle fois recommencer un recrutement ;

  • Manque de temps et d’habiletés de gestion pour gérer des situations humaines complexes (il est encore très courant de voir des gestionnaires promus pour leur expertise et leurs résultats, sans aucune formation ou sans accompagnement au niveau de la gestion).

Or, concernant ce dernier point, selon l’Indice santé mentale d’octobre 2022 diffusé par Lifeworks[7], « [l]es qualités importantes chez un leader, dont le charisme, l’humanité et la collaboration, ont une grande incidence sur la santé mentale, le rendement au travail et la productivité des travailleurs canadiens ».

Toujours selon cet indice, les Canadiens qui accordent une excellente cote à leur gestionnaire au niveau de certaines caractéristiques (autonomie, charisme, humanité, participation et orientation vers l’équipe) sont plus susceptibles de se soucier de leur travail et d’essayer de dépasser les attentes que ceux qui lui attribuent une cote faible.

Les habiletés et la disponibilité des gestionnaires sont donc des éléments déterminants au niveau de l’engagement des employés.

 Une fois de plus, les habiletés requises sont bien documentées et connues. Les programmes de développement du leadership et des habiletés de gestion pullulent (il suffit d’effectuer une recherche sur Internet pour découvrir de très nombreuses ressources). Pourtant, notre constat est souvent sans appel : quand les gestionnaires ont enfin le temps de participer à un tel programme (quelle que soit la formule), le retour à la réalité est souvent difficile, car ils se retrouvent à gérer les nombreuses urgences qui ne cessent de survenir.

Nous ne comptons plus le nombre de gestionnaires qui nous ont avoué qu’ils devaient souvent choisir entre éteindre des feux et rencontrer leurs employés sur une base régulière.

Dans ce contexte de manque de temps, quelles actions prendre pour soutenir les gestionnaires ? Une attention particulière devrait être accordée à leur propre expérience. Une réflexion au niveau de la surcharge de travail et de leur santé mentale devrait être engagée pour que l’expérience gestionnaire soit au rendez-vous.

 Le rôle des professionnels en ressources humaines est donc crucial. Voici quelques pistes de solutions à travailler avec les gestionnaires pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle au niveau de l’engagement de leurs équipes :

  • Invitez les gestionnaires à faire de la place dans leur agenda. Voici quelques idées de questions à leur poser lorsque survient une nouvelle demande de rencontre ou de projet :

o   En quoi ce projet va-t-il contribuer à l’atteinte de nos objectifs stratégiques ?

o   Suis-je la meilleure personne pour participer à cette rencontre ? Qu’attend-on de moi ?

o   Qu’est-ce qui me retient de dire non et de poser mes limites ?

  • Assurez-vous que les gestionnaires ont accès à des ressources pour prendre soin d’eux, avant de prendre soin des autres. Une bonne régulation de son énergie[8] est un élément déterminant pour prendre soin de ses employés. Lorsque l’on n’est pas bien avec soi-même, il est plus difficile d’être bien avec les autres. Voici quelques questions que les gestionnaires peuvent se poser pour savoir où ils en sont :

o   M’arrive-t’il régulièrement de sauter ma pause repas pour travailler ?

o   À quand remonte la dernière fois où j’ai pu faire une activité physique, même légère ?

o   Dans les deux dernières semaines, à quand remonte la dernière fois où j’ai ri avec mes collègues de travail ?

o   Ai-je tendance à me sentir plutôt irrité, à bout de souffle ou au contraire motivé et plein d’entrain ?

o   Est-ce que je travaille sur des dossiers qui me motivent et me permettent de donner le meilleur de moi ?

  • Lorsque le temps manque, suggérez aux gestionnaires de prendre 15 minutes par semaine avec leurs employés pour parler de motivation et d’engagement. De nombreux gestionnaires n’ont tout simplement jamais demandé à leurs employés ce qui les motivait. Voici quelques questions à poser, notamment aux nouveaux employés :

o   Qu’est-ce qui te motive/démotive au travail ?

o   De quoi as-tu besoin pour bien travailler ?

o   Qu’attends-tu de moi ?

o   Comment veux-tu que ton travail soit reconnu ?

o   De quelle manière ton travail va-il contribuer à l’atteinte de nos objectifs généraux ?

  • Enfin, incitez les gestionnaires à considérer leurs employés au quotidien, avant même de vouloir reconnaître leurs bons coups. Voici quelques actions à prendre pour considérer ses employés au quotidien :

o   Je connais le prénom et le nom de mes employés ;

o   Je salue mes employés quand je les croise ;

o   Je remercie mes employés de manière spontanée et fréquente.

Les hauts dirigeants ont également un rôle important à jouer pour améliorer l’expérience des gestionnaires. En effet, la détermination d’objectifs stratégiques clairs devrait être faite, et une gestion rigoureuse de la capacité réelle de l’organisation devrait être mise en place pour éviter la saturation à tous les niveaux de l’organisation.

 CONCLUSION

Les organisations vivent actuellement de nombreuses tensions qui les fragilisent. Les enjeux de recrutement peuvent limiter la capacité des gestionnaires et des responsables des ressources humaines à jouer adéquatement leurs rôles pour susciter l’engagement des équipes.

Pour permettre une meilleure rétention des employés, une attention particulière doit également être apportée à l’expérience des gestionnaires pour leur permettre de prendre un pas de côté sur leurs pratiques et mettre en place des stratégies gagnantes en matière d’engagement de leurs employés.


SOURCES ET RÉFÉRENCES :


[1] GALLUP – State of the Global Worplace 2023 Report.

[2] En comparaison, 34 % des employés aux États-Unis se sentent engagés contre 7 % en France.

[3] Traduction libre de l’auteure.

[4] GALLUP – State of the Global Worplace 2023 Report.

[5] Dans l’indice de santé mentale de Lifeworks d’octobre 2023, p. 19, il est toutefois mentionné que 41 % des répondants (des employés canadiens) signalent que le fait d’être mieux payés serait l’élément qui les encouragerait le plus à déployer davantage d’efforts au travail, 12 % que ce serait d’accomplir des tâches plus utiles, 10 % que ce serait d’avoir une plus grande flexibilité et 7 % que ce serait de recevoir plus de reconnaissance.

[6] GALLUP – The Relationship Between Engagement at Work and Organizational Outcomes, 2020.

[7] <https://lifeworks.com/fr/rapport-de-lindice-de-sant%C3%A9-mentale>.

[8] Tony SCHWARTZ et Catherine MCCARTHY, Manage your Energy, Not Your Time, 2007, en ligne : <https://hbr.org/2007/10/manage-your-energy-not-your-time>.

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